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238 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

monde moderne et des groupes humains, nous avait déjà signi- fié avec les Copains — cet ample épanchement de la joie de vivre — avec Mort de Quelqu'un — cette profonde étude de la suprême destinée des hommes — avec Europe, avec Cromedeyre-lc-Vieil, sa volonté de ne point s'en tenir à ses premières conquêtes. Il est trop d'artistes dont la marche est en quelque sorte linéaire : ils ne peuvent entrer dans une idée sans en quitter une autre, et, s'ils vous présentent tel ou tel mérite, c'est parce qu'ils viennent de renoncer à telle ou telle vertu. Les étapes, chez Romains, se font de façon toute différente, par adjonctions suc- cessives. Sans rien céder des lieux rudes et hauts où il s'est établi d'abord, il s'agrandit peu à peu, comme par des pentes et des plaines : il s'élargit sans cesse. C'est peut-être à cette ferme assise que son œuvre doit d'être regardée de loin comme l'un des repères auxquels se reportent ceux qui veulent mesurer notre époque. L'ordonnance qui gouverne de plus en plus impérieu- sement cet ensemble d'ouvrages ne doit pas inquiéter : Romains possède assez de spontanéité et de verve pour résister à ce que ce pouvoir-là manifeste parfois d'appauvrissant — et Lucienne, le dernier apport de l'écrivain, y parait situé à la pointe extrême, vers l'horizon.

Si nous essayons maintenant de situer ce roman, non plus parmi les autres oeuvres de son auteur, mais dans notre littérature actuelle, nous soulignerons d'abord la forme narra- tive que Romains a adoptée. Le « récit », qui avait été naguère assez délaissé, porte volontiers d'excellents fruits dans ce coin d'Europe d'où nous sommes, ce généreux terroir entre Seine, Rhône et Garonne : rappelons-nous deux fortes œuvres récentes, Un Homme Heureux de Schlum berger et la Confession de Minuit de Duhamel, (encore que Lucienne n'ait rien de commun avec elles que le fait de donner parole non à l'auteur, mais au princi- pal personnage). Cette réapparition chez nous d'une forme de roman aussi allègre et alerte nous paraît mériter d'être signalée,

D'autre part, à envisager non plus l'aspect de l'ouvrage, mais sa teneur, que nous révèle cette dernière ? Toutes les forces valables de la littérature de notre temps se dirigent, crovons- nous, vers un art largement humain et un mode d'expression simple et direct tel que le fut celui des classiques (que l'on me passe ce rappel : agaçant pour quelques-uns, trop agréable pour

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