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24O LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

L'interprétation d'Antoine avait plus de grandeur, mais on a le sentiment que dans sa simplicité, sa bonhomie, son absence de solennité, celle de Pitoëff restait plus fidèle à la Russie. De même pour YO)icîe Vania. Malgré une distribution qui désaxait la pièce en faisant passer au second plan le personnage princi- pal, on respirait l'atmosphère même de Tchekhof. Et l'on se réjouissait à la pensée que nous aurions enfin à Paris ce théâtre européen qui nous manque et qui pourrait être un vivant lien avec les pays du nord et de l'est, les seuls auprès desquels, depuis cinquante ans, notre art dramatique aurait pu trouver à s'enrichir.

Le principal atout de Pitoëff, c'est sa connaissance, son sens de ce théâtre-là. Il n'y est gêné ni par des préjugés à vaincre ni par un zèle indiscret de néophyte. Il y est chez lui ; il peut s'y laisser aller à sa fantaisie, à son invention de metteur en scène. Ayant débuté, comme le Vieux-Colombier, dans des conditions qui le forçaient à monter un grand nombre de spec- tacles à peu de frais, il a gardé une sorte de désinvolture char- mante en ce qui concerne décors et costumes, et la nécessité lui a fait acquérir une ingéniosité qui lui permet d'aborder, sans en être écrasé, un programme abondant et divers. La composi- tion de sa troupe, où l'accent russe alterne avec l'accent vau- dois, lui interdit une certaine perfection que l'on est en droit d'exiger lorsqu'il s'agit d'une pièce de chez nous ou d'un spectacle qui vaut surtout par une forme raffinée. On a pu le constater pour la Salomé de Wilde qui n'est plus qu'une fan- tasmagorie prétentieuse et démodée sitôt que le luxe et le renchérissement de l'artifice ne lui prêtent plus d'éclat. C'était pitié de voir M me Ludmila Pitoëff, dont le grand talent est tout émotion et probité, essayer de donner de la vraisemblance aux insupportables fioritures du dialogue et cueillir avec tant d'honnêteté ces fleurs vénéneuses. L'inconvénient n'est plus aussi sensible dès que les qualités de l'œuvre sont profondes. Assurément une meilleure diction contribuerait à faire valoir les beautés d'une pièce de Shakespeare, et la traduction si ferme, si bien sonnante que M. Guy de Pourtalès a donnée de Mesure pou?- Mesure eût prêté à une mise au point plus serrée. Mais l'intérêt de l'œuvre est si grand et l'on est si reconnais- sant à une troupe de nous donner une telle comédie sans

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