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2 7§ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

��8 septembre 1914.

Un sous-officier me réveille en me secouant. Je sors, effaré d'un sommeil pesant. Les naseaux reniflants de mon cheval me frôlent le visage.

Qu'y a-t-il ?

— Patrouille vers Parigny.

Je regarde vers l'aube. Le clair de lune s'étend sur la dévastation du dernier jour d'assaut. Doux, laiteux, son éclat baigne le visage grimaçant de la nuit. Dans l'air : plaintes et gémissements de blessés. L'atmosphère tinte comme du verre cassant. Le vent chasse toutes choses devant lui, vers leur dissolution. Devant moi, le ciel rougit. La main de la guerre s'abat comme la foudre et saisit un village dont elle consume les maisons ; il n'en reste bientôt plus que des tisons charbonneux. Les Uhlans de ma patrouille sont en selle. Le froid monte vers moi du fond des prairies de la Marne. Lointaines et calmes scintillent les étoiles. Dieu qu'ai-je à faire avec cette exis- tence qui me chasse toujours plus loin de mon cœur ou bien... ou bien...

Le sous-officier rit : Nous sommes à la veille d'une grande décision. Nous partons. Les arbres, les champs sur notre route, sont blancs de la poussière du jour accablant. La lune argentée pâlit. Le matin s'avance frissonnant. Pareille à l'heure qui précède le lever du soleil, sur les sables des déserts d'Egypte, voici s'étendre de toutes parts la lumière naissante. La lumière, comme la transfiguration du sang répandu. Un vent lugubre passe dans les crinières des chevaux. Une truie, dans un champ de pommes de terre, grogne et s'enfuit. Ses oreilles brillent, touchées par le soleil levant, comme des rubis dans la luzerne. Des villages en flammes piquent l'horizon de leurs feux pointus et métalliques. Hors des décombres des anciennes nabi-

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