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SILBERMANN 305

Le tapage autour de Silbermann grandit au point que le proviseur fut obligé de prendre certaines mesures. On redoubla de surveillance dans notre cour. Un répétiteur fut chargé de se tenir à la porte du lycée et de l'escorter jusqu'à sa classe. Alors on n'entendit plus cette rumeur qui annon- çait sa venue, mais tous les élèves, formant la haie en silence, allaient le voir passer. Silbermann avançait. Son visage était affreusement pâle. J'apercevais entre ses pau- pières, fixement abaissées, un regard court et aigu tel une dague perçant sa gaîne. Il se glissait le long du préau, suivi d'un homme en noir à la physionomie sévère et ennuyée. Et cette sorte de cérémonie donnait à ses malheurs comme une confirmation officielle qui les aggravait.

Mais si douloureuse que fût sa situation, il l'acceptait.

« Tout m'est indifférent, me disait-il, pourvu que je reste au lycée. »

Hélas ! Il ne se doutait pas que ce serait à cause de celui-là même auquel il se confiait qu'il n'y resterait pas.

Un jour, comme nous venions de sortir du lycée où il avait dû subir quelque pénible avanie — et c'était peut- être aussi un jour que son père était interrogé — il se laissa aller au découragement.

« Je suis à bout, soupira-t-il. Toute cette haine autour de moi !... Ce que j'ai rêvé ne se réalisera jamais, je le vois bien... A quoi bien persister ?... Je devrais partir. »

Je voulus le réconforter et, pour qu'il sentît mon affec- tion, je lui dis :

a Et moi ? Que deviendrais-je si tu me quittais ?

— Toi ? répondit-il avec une certaine rudesse, tu ne tarderais pas à m'oublier, tu irais retrouver Robin.

Je protestai, indigné :

— Jamais. »

Je saisis sa main et la gardai dans la mienne. Mais il con- tinua à se lamenter ; et son accent était si désespéré, si fatal,

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