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306 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

annonçait avec tant de force le dénouement inévitable que, machinalement, comme cédant à l'injonction du destin, je lâchai sa main. Et à cet instant précis, je vis, à quelques pas, sortant de l'ombre où sans doute elle guettait mon passage, ma mère. Elle avança vers moi.

— C'est ainsi que tu obéis à ton père, me dit-elle d'une voix haute et sévère.

Silbermann, ayant ôté son chapeau, s'était approché d'elle, la main tendue.

Se tournant à peine vers lui, elle lui jeta sans pitié :

— Vous devriez comprendre, Monsieur, que les cir- constances ont rendu impossibles toutes relations entre vous et mon fils. »

Cet affront amena instantanément sur le visage de Sil- bermann une expression de haine qui, se mélangeant à l'intention courtoise, lui composa un masque bizarre et équivoque. Arrêté net dans son salut mais encore courbé, son corps parut prêt à bondir. Sa main, revenue en arrière, se dissimula par un geste contourné. Et je sentais au dedans de cet être, longtemps opprimé, un bouillonnement si violent que, sa face un peu asiatique et son attitude double se rapprochant dans ma mémoire de je ne sais quelle image romanesque, j'eus la pensée que j'allais voir reparaître cette main, brandissant férocement sur ma mère une longue lame courbe.

Il resta hésitant un moment, grimaça vers moi un sou- rire qui découvrit des mâchoires serrées, et nous tourna le dos.

Mais déjà ma mère m'entraînait à grands pas.

Son air n'eût pas été plus grave si elle m'eût surpris en train d'incendier notre maison.

« Malheureux ! tu ne songes sans doute pas aux con- séquences de tes actes, dit-elle d'une voix frémissante. Ne comprends-tu pas que tu risques de ruiner la car- rière de ton père ?... Il suffirait que quelqu'un de malin- tentionné ébruitât tes relations avec ce garçon pour que

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