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RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 335

Paris ; la conquête de la France me fait mal, et je souffre des malheurs du pays où je suis née et où mon père a été sept ans le premier ministre. » Je sais bien qu'Alfred de Musset l'a appelée un Blùcher femelle, et que cette boutade a été reprise par notre littérature nationaliste. Pour moi, le rayonnement de cette âme chaude et puissante reste lié au rayonnement même de la civilisation française dans tout ce qu'elle eut de débordant, de généreux, de fécond. Je ne vois pas ce que nous pouvons gagner à rétrécir jalousement notre peau de chagrin. « Rien de profond en M me de Staël n'est français » s'écrie M. Reynaud. Ce que je vois de profond et de français en elle c'est le génie de la société et de la conversation, élargi en libéralisme, poussé vers les grands sujets et répandu dans les grands courants.

M me de Staël c'est de la France qui se fait, en une période de transformation et d'expansion ; c'est une demi-étrangère à qui la France apprend à tenir le salon de l'Europe, en un temps où des Geoffrin et des Du Deffand paraîtraient bien grêles et bien dépaysées. M. Reynaud cite ces mots d'une de ses lettres ^(Naî- tre Française avec un caractère étranger, avec le goût et les habitudes françaises et les idées et les sentiments du Nord, c'est un contraste qui abîme la vie. » Cela peut abîmer une vie, l'abîme même généralement, mais ces dissonances d'une géné- ration deviennent accord et richesse dans la génération sui- vante. Dans les vers magnifiques que Lamartine écrivait sur la mort de la duchesse de Broglie, fille de M me de Staël, substi- tuez cette génération spirituelle à la filiation matérielle :

Elle était née un jour de largesse et Je fête, D'une femme immortelle au verbe de prophète; Le génie et l'amour la conçurent d'un vœu ! On sentait, à l'élan que retenait la règle, Que sa mère l'avait couvée au nid de l'aigle, Sous une poitrine de feu.

Les palpitations de l'âme maternelle Au-delà du tombeau se ressentaient en elle ; Elle aimait les hauts lieux et le libre horizon ; Un élan naturel l'emportait vers les cimes Où la création donne aux dînes sublimes Les vertiges de la raison.

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