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336 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Symbole involontaire de l'idéal du xix e siècle : imposer une discipline classique à une âme romantique, — idéal jamais atteint : les deux facteurs restent malgré tout séparés, le plus souvent hostiles ; mais l'effort qu'ils ont fait pour se rejoindre, les forces de répulsion qui les écartent, tout cela forme un drame vivant entre l'élan et la règle, drame vivant avec lequel sympathise tout ce qu'il y a en nous-mêmes de vivant.

M. Reynaud estime que Y Allemagne de M me de Staël a donné sa figure permanente à l'idée que le xix e siècle français s'est faite de l'Allemagne. Idée évidemment inexacte, dit-il. Soit. Mais ce dont le xix e siècle français avait besoin, c'était ici d'un ébranlement pour faire du nouveau. Et c'est un fait qu'en ma- tière littéraire tous les novateurs éprouvent le besoin de s'ap- puyer surun exemple, de s'autoriser d'une tradition. Dans le temps et dans l'espace. Dans le temps, le classicisme s'est appuyé sur les anciens, le romantisme sur Shakespeare. Dans l'espace, la Pléiade a demandé une impulsion à l'Italie, le xvn e siècle à l'Espagne, le xvm e siècle à l'Angleterre, le xix e siècle à l'Alle- magne. Le livre de M me Staël s'est trouvé là pour faire fonction de Lettres Anglaises. Mais toutes ces influences n'ont servi en somme que des causes occasionnelles. Quand le génie d'un pays est sain et vigoureux — et ce fut notre cas dans nos quatre siè- cles — elles le font (pour parler en platonicien) ressouvenir de ce qu'il savait sans savoir qu'il le savait, elles mettent une étiquette étrangère et un décor éclatant sur ses fruits autoch- tones. M. Reynaud montre lui-même que la littérature roman- tique ne doit à peu près rien à la littérature allemande, mais que celle-ci a contribué à ébranler et à allumer le lyrisme fran- çais. Il n'en est pas tout à fait de même en histoire et en philo- sophie, et là il faudrait varier un peu les termes de la formule ; mais d^une façon générale l'action du génie étranger sur le génie français a toujours provoqué en celui-ci l'invention plutôt que déclenché une imitation.

Ce que reproche M. Reynaud à l'Allemagne c'est peut-être moins d'avoir exercé une grande influence que de nous avoir fait croire qu'elle en exerçait une. Comme le soulier de l'Auver- gnat, elle a tenu de la place. Mais M. Reynaud n'exagère-t-il pas lui-même le volume de ce soulier ? Le fait de réunir toutes les marques de l'influence allemande en un livre ne l'a-t-il pas

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