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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 337

porté à en aggraver le poids ? La masse n'est imposante que concentrée artificiellement. L'œil soupçonneux et chagrin de l'auteur voit de la germanophilie partout. «En 1840, la Marseil- laise de la Paix, nous dit-il, correspondit mieux à l'opinion et pro- duisit une impression plus forte que le Rhin français (p. 174). » Je ne sais sur quels textes il appuie son affirmation, mais nous en avons précisément un de Lamartine, qui écrit : « Ces vers, que je relis aujourd'hui avec plus de satisfaction qu'aucun des vers politiques que j'aie écrits, pâlirent complètement devant \epetit verre et le petit vin blanc des strophes de Musset. Je fus déclaré un rêveur et lui un poète national. » Ce qui était bien naturel. « De ce long poème d'amour et de reconnaissance que notre dix-neuvième siècle a chanté à la nation voisine, il n'y a proba- blement pas d'autre exemple dans l'histoire », dit M. Reynaud. Mais ce poème son information érudite ne l'a-t-elle pas un peu créé, avec des éléments bien dispersés, qui restaient assez inof- fensifs et même utiles dans leur dispersion ?

Tout cela d'ailleurs M. Reynaud le sait et le sent. Il y a un singulier contraste entre le parti pris du gros de l'ouvrage et le caractère équilibré, raisonnable de la conclusion, pleine de jus- tesse, de bon sens et de vérité, et à laquelle, pour mon compte, je souscrirai sans réserve. Si je joins à ce bénéfice la riche information que me procure l'ensemble du livre, je puis considérer le livre de M. Reynaud comme un précieux compa- gnon. L'influence allemande comporte, comme toute influence, un tableau des gains et un tableau des pertes, et notre souci doit être de l'accepter et de l'utiliser, non de la subir passive- ment. Lisez ce passage si juste : « Si l'on veut se rendre compte de ce que représente pour l'intelligence française cet enrichisse- ment, on n'a qu'à comparer par exemple la méthode critique de Lemaître, esprit tout français au sens traditionnel du mot, à peine effleuré par la science et la philosophie allemandes, avec celle d'un Taine par exemple. D'un côté du goût, de l'esprit, de la finesse de style, mais peu ou point de sens historique, de vision des ensembles, de divination ; de l'autre, moins d'art et d'agrément sans doute, mais un point de vue plus large, plus compréhensif. Faguet était aussi un de ces esprits que l'in- fluence anglaise ou allemande avait peu touchés, et il est incon- testable qu'il manque à ses analyses individuelles, si aiguës, un

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