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notes 377

à la phrase suivante. Il arrive que ces ornements soient amenés d'assez loin et causent, comme nos rimes et leurs chevilles, des embardées à droite et à gauche, tout à fait incompréhensibles dans une langue étrangère. C'est dire qu'il faut écarter de ter- ribles ronces avant d'atteindre le centre humain du Nô. On est cependant récompensé.

Le théâtre japonais est instructif à deux points de vue : par la manière dont il pose un sujet, c'est-à-dire par sa stylisation lyrique, puis la manière dont il le met en œuvre, c'est-à-dire par la stylisation du jeu. Prenons un cas concret. Dans la lutte à mort de deux clans, le jeune prince Atsumori a voulu se mesu- rer contre le guerrier Kumagai. Il a été terrassé. Kumagai lui arrache sa visière, s'aperçoit qu'il n'a vaincu qu'un enfant et qui ressemble à son propre fils. Emu, il hésite un instant, mais l'esprit militaire l'emporte et, en versant des larmes, le vieux guerrier coupe la tête d'Atsumori. Sur le cadavre il trouve, « dans un fourreau de brocart délicatement parfumé et passée dans les attaches de l'armure, une flûte de bambou de Chine, de coloration gracieuse », dont le prince avait coutume de jouer. Il la recueille, en fait présent à son fils ; puis la guerre terminée, il se fait moine et consacre le reste de ses jours à prier pour l'âme de sa jeune victime. (Lisez dans le volume de M. Péri ce magnifique fragment d'épopée.) Comment Séami, l'auteur des plus célèbres Nos, va-t-il mettre en œuvre cette donnée ? Dans la première scène, Kumagai sur la fin de ses jours, caché sous sa robe de moine, se rend à sa prière quotidienne, quand il ren- contre deux jeunes faucheurs. L'un d'eux joue merveilleusement de la flûte: ce ne peut être que le fantôme d'Atsumori. Dans l'intermède comique, Kumagai demande à un paysan de lui raconter ce qu'il sait de la guerre passée, et l'homme des champs fait un récit où l'amour-propre du vieux brave est assez plai- samment piqué. Puis, au cours de la deuxième scène, Kumagai et le prince se retrouvent dans le temple. Le chœur chante les épisodes du duel. L'âme d'Atsumori, soulevée par la frénésie du souvenir, mime le combat dans une danse héroïque. Il lève le sabre sur Kumagai, mais soudain s'arrête et le chœur chante : « Ensemble ils renaîtront sur le même lotus. Non, le moine n'est pas son ennemi. Ah, daignez encore prier pour ma déli- vrance ! »

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