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378 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Citons un autre exemple, l'histoire de Komachi qui fut une des femmes les plus brillantes de la cour et qui, dans son orgueil, se joua d'un homme qui l'aimait. Elle lui promit d'écou- ter ce qu'il avait à lui dire si, pendant cent nuits, il veillait dans son jardin, sur un escabeau de bois. Pendant quatre-vingt-dix- neuf nuits il fut fidèle au rendez-vous, traçant une encoche dans le bois ; mais la centième nuit la mort son père l'empêcha de venir. Alors Komachi lui adressa une strophe ironique et le congédia désespéré. Le drame nous montre, au premier acte, Komachi dans son extrême vieillesse, réduite à mendier et racontant à des moines qui l'interrogent les gloires de sa bril- lante jeunesse. En répliques qui alternent avec celles du chœur et qui, pour l'émotion et la beauté, tiennent le milieu entre les regrets de la belle Heaumière et ce poème de Swinburne où les reines de l'antiquité viennent rappeler leur splendeur passée, Komachi évoque sa royauté voluptueuse et son affreuse dé- chéance. Au deuxième acte nous la voyons subir son châtiment ; hantée par l'esprit de l'amant bafoué, elle est forcée de repro- duire dans une danse farouche les nuits d'attente, les recherces, les supplications du malheureux.

Si sommaires que soient ces résumés, ils indiquent assez à quel ordre d'émotions ces drames lyriques font appel. Il est fort probable que nous pourrions y trouver un point de départ pour une rénovation du ballet dans un sens héroïque et même tra- gique. Quant au degré de perfection artistique auquel ils sont poussés, nous sommes réduits à l'inférer des renseignements fournis par les traducteurs et par les Japonais eux-mêmes. Le grand auteur du quatorzième siècle, Séami, qui tout enfant, à la mort de la favorite, avait pris sa place dans les bonnes grâces de l'empereur, nous a laissé des notes fort détaillées, destinées à l'instruction des hommes de théâtre. Il précise tous les gestes que l'acteur devra exécuter :

Dans la pièce Sano no Funabashi, sur les paroles : « les saules verts, les flairs pourpres», le frappement du pied doit avoir lieu sur «fleurs», et l'acteur devra marquer deux pas. Mais s'il en ajoute un sur « vert », l'effet est agréable.

Il montre comment l'acteur devra modifier son jeu selon que les spectateurs seront déjà ou non dans un état d'esprit exalté, selon le lieu de la représentation, selon l'heure du jour :

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