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— Il n’est pas en mon pouvoir de vous réfuter et surtout de vous demander de renoncer à votre décision. Votre intention est très noble et il serait impossible de mieux exprimer une idée véritablement chrétienne. La pénitence ne peut aller plus loin : ce serait une action admirable que de se punir soi-même, comme vous je projetez, si seulement...

— Si ?

— Si c’était véritablement une pénitence, si c’était réellement une idée chrétienne.

— Finesses que tout cela, murmura Stavroguine, pensif et distrait ; il se leva et commença à parcourir la chambre, sans même remarquer ce qu’il faisait.

— Il me semble que vous avez voulu vous représenter exprès plus grossier que vous ne l’êtes, que votre cœur ne désire l’être, fit Tikhon avec plus de franchise.

— Me représenter ? Je ne me « représentais » pas et, surtout, je ne jouais pas : « plus grossier » ? Qu’est-ce que cela veut dire « plus grossier » ? — Il rougit de nouveau et s’en sentit fâché : je sais que c’est un fait petit, insignifiant, misérable, dit-il en indiquant les feuillets, mais que sa petitesse même serve à approfondir... Il s’arrêta soudain comme s’il avait honte de continuer et considérait comme humiliant de se lancer dans des explications ; mais en même temps il se soumettait douloureusement, encore qu’inconsciemment, à la nécessité de rester pour s’expliquer. Il est à remarquer que pas un mot ne fut prononcé au sujet de ce qu’il avait dit précédemment quant à la confiscation du second feuillet ; ce feuillet paraissait avoir été oublié aussi bien par l’un que par l’autre. Stavroguine s’était arrêté près de la table à écrire ; il y prit un petit crucifix en ivoire, commença à le faire tourner entre ses doigts et tout à coup le brisa en deux. Surpris, il revint à lui et jeta à Tikhon un regard perplexe ; mais soudain sa lèvre supérieure trembla, comme s’il avait reçu une offense et comme s’il se préparait à lancer un défi :