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Un dimanche d’été, vers cinq heures du soir, Volôdia, jeune homme de dix-sept ans, laid, maladif et timide, était assis sous une tonnelle de la maison de campagne des Choumikhine, et s’ennuyait.

Ses tristes pensées suivaient trois directions.

Il devait, premièrement, passer le lendemain un examen de mathématiques et il savait que, s’il ne résolvait pas le problème posé, il serait renvoyé du lycée, parce qu’il redoublait sa seconde [1] et avait comme moyenne, en algèbre, 2 ¾. Deuxièmement, ce séjour chez les Choumikhine, gens riches, prétendant à l’aristocratie, causait à son amour-propre une constante souffrance. Il lui semblait que Mme Choumikhine et ses nièces le tenaient, ainsi que sa maman, pour des parents pauvres et des pique-assiettes ; qu’elles n’estimaient point sa mère et se moquaient d’elle. II avait une fois entendu Mme Choumikhine dire, sur la terrasse, à sa cousine, Anna Fiôdorovna, que sa maman continuait à faire la jeune, qu’elle se fardait, ne payait jamais ses dettes de jeu et qu’elle avait une passion immodérée pour les bottines et les cigarettes d’autrui.

Chaque jour, Volôdia suppliait sa maman de ne plus aller chez les Choumikhine, lui décrivait le rôle humiliant qu’elle jouait chez ces gens-là, cherchait à la convaincre, lui disait des choses dures, mais elle, légère, gâtée, ayant dilapidé deux fortunes, la sienne et celle de son mari,

  1. Exactement sa « sixième année », les cours des lycées russes étant de huit ans.