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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 595

dans ses Nouvelles Pages, sur cette question, et son point de vue n'a pas changé. Il se trouve, par un exceptionnel hasard, qu'il en est de même du mien. Et comme on peut voir là une ques- tion capitale de « rhétorique », comme c'est même la question centrale de la rhétorique, comme il faut bien de temps en temps se retremper dans la rhétorique, je voudrais reprendre, après dix ans, ce même problème. Je n'ai, en ces matières, ni l'autorité de M. Bourget, ni non plus cette conscience de son autorité, qu'est son dogmatisme. J'entre dans une question ouverte que je ne prétends pas fermer, que je tiens au contraire à laisser ouverte. Un Art du Roman véritable serait une sorte de dialogue, issu d'Etats Généraux du roman, avec ces trois ordres, les romanciers, la critique, le public, — le premier qui milite, le second qui fait oraison, le troisième qui paie. Je sais bien que nos oremus paraissent aux deux autres ordres de la fumée subtile et vaine, et que le tiers-état, en matière de roman, tend à être tout. C'est grâce à lui que nous aurons plutôt une autre Ecuycre qu'un Art du Roman. Raison de plus à notre clergé, tant qu'il est encore toléré, pour rêver sur cet Art, avec des fumées, tantôt épaisses, tantôt bleues.

« Il y a, dit M. Bourget, outre l'élément de vérité, un élément de beauté dans cet art si complexe du roman. Cet élément de beauté, c'est, à mon sens, la composition. Si nous voulons que le roman français garde un rang à part, c'est la qualité que nous devons maintenir dans nos œuvres. Une Eugénie Grandet, une Colomba, une Madame Bovary, un Germinal, un François le Chanipi, un Nabab, pour citer au hasard quelques livres de type très différent, sont remarquables par cette netteté dans le dessin, que vous ne trouverez ni dans Wilhelm Meister, ni dans les Puritains d'Ecosse ou Rob Roy, ni dans David Copperfield ou le Moulin sur la Floss, ni dans Anna Karénine ou Crime et Châti- ment. Je cite de nouveau, au hasard de ma mémoire, d'autres livres de tout premier ordre également. Nous ne trouvons pas davantage cette beauté de composition dans Don Quichotte ni dans Robiuson. Pourquoi ne pas reconnaître que l'insuffisance de ces puissants récits est justement dans ce défaut d'ordonnance ? Nous l'admirons, cette claire ordonnance, dans tous nos clas- siques... C'est une vertu nationale, à ne jamais sacrifier. Quand on examine les récits des romanciers nouveaux, on

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