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éoO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'œuvre de théâtre. Que dirons-nous du genre qui tend aujour- d'hui à absorber les autres, — le roman ?

Notons d'abord que lorsque M. Bourget exhorte les roman- ciers à vénérer surtout l'arche sainte qu'est la composition, il semble bien qu'il prêche pour son saint. Aucun romancier ne compose d'une manière aussi habile, aussi nette, aussi appa- rente que lui ; la qualité qu'on peut le moins lui refuser c'est la solidité de la construction : il y a dans sa soupe bien des légumes venus des jardins de Taine, de Balzac, de Walter Scott, mais ces légumes, associés à un pain bis, font une assiettée épaisse, substantielle, nourrissante, je dirai même auvergnate : soupe qui n'est évidemment pas signée Montagne, mais qui tient debout la cuiller, qui tient solide dans l'estomac, et que j'avoue manger de bon appétit presque chaque fois que M. Bour- get publie un roman nouveau. Dans presque tous les livres de M. Bourget, on reconnaît un homme qui a expliqué le Con- dones, qui a pensé avec Taine et Brunetière, et un des rares écrivains d'aujourd'hui qui ait fait visiblement et loyalement sa rhétorique. Quiconque a le goût et le sentiment de la tradition française, dans son fonds ancien et son étoffe solide, lui en sait gré. Un roman de M. Bourget est composé comme un discours de Tite-Live ou une tragédie classique. Mais qu'est-ce à dire sinon précisément qu'un roman de M. Bourget nous apparaît peut-être moins comme un roman pur que comme un recoupe- ment romanesque des deux genres à composition, l'oratoire et le dramatique ? M. Bourget a un style oratoire et même un but oratoire, comme Taine et comme Brunetière. In narratioue orator. 11 écrit des romans à thèse pour prouver et pour con- vaincre, ce qui est besogne d'orateur. Le récit prend spontané- ment chez lui la forme du discours, d'un flot qui roule, d'un ensemble en marche, marche ordonnée méthodiquement, j'allais dire militairement. Mais l'oratoire à lui seul ne donnerait rien, si M. Bourget n'y joignait précisément un don dramatique des situations, des crises : le talent de l'exposition, l'art des pré- parations sont chez lui visibles, peut-être trop visibles ; la scène à faire, en général une grande scène d'explication, est amenée aussi immanquablement et à une place aussi déterminée que chez Sardou et Henry Bataille. Les marron- niers de Figaro ne manquent pas davantage, où tous les per-

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