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CHRONIQUE DRAMATIQUE 607

effet, qu'il n'y ait pas de meilleur moyen, pour mettre un tout jeune homme en garde contre l'empire des femmes, que de lui donner pour mentor un homme qui joue auprès d'elles le rôle même qu'elles jouent généralement auprès de nous, et de lui montrer par là qu'entre les deux manières il n'y a que la dis- tance d'un préjugé et que tout l'avantage des femmes ne tient qu'à ce préjugé. Ce personnage, que je ne trouve nullement blâmable, je me dépêche de le dire pour rassurer mes lecteurs, explique de façon délicieuse autant que naturelle le mécanisme de son agréable carrière. « Cela a débuté presque sans que je m'en aperçoive. Elles (les femmes) ont commencé par me prê- ter de l'argent que je ne leur ai pas rendu. Je n'aurais pu le leur rendre, d'ailleurs, n'en ayant que par elles. Cela a continué. C'est devenu maintenant chose toute simple. Je suis beau, elles m'aiment, et c'est une partie de leur amour, et peut-être la meilleure, de subvenir ainsi à tous mes besoins. » Le père a de la jubilation avoir un homme qui sait si bien utiliser les femmes. Quelle différence avec lui, quelle supériorité sur lui, qui a tou- jours été bafoué par elles, qui a passé sa vie à souffrir par elles ! Il voit dans la vie et les actions de ce garçon tous les éléments, tous les principes d'une morale amoureuse autrement supérieure à la morale habituelle. Il ne doute pas que son fils, sous l'égide d'un compagnon qui sait tirer de si beaux profits de l'amour, ne soit de tous points le vengeur qu'il a souhaité.

L'enseignement qu'il lui a donné personnellement peut se résumer en ceci, sur la conduite à tenir à l'égard des femmes : faire exactement avec elles ce qu'elles font avec nous, savoir toujours dire à temps, avant elles, les paroles qu'elles nous disent, en un mot être, en toutes circonstances, encore plus femme qu'elles. Engager le jeu, mais savoir se retenir à temps, quelque fièvre qu'on se sente déjà, quelque ardeur d'aller plus loin qu'on éprouve. Paraître s'abandonner, avoir l'air d'être pressé de se donner, mettre l'eau à la bouche à sa partenaire, et se reprendre aussitôt, sans qu'il y paraisse, détaché, indiffé- rent ou capricieux. Toujours dire, comme elles, des non qui signifient oui, et des oui qui signifient non. Il lui rappelle sou- vent comment il l'a dressé, tout enfant, à cette gymnastique sentimentale, par un exercice physique qui consistait à le faire courir à perdre haleine dans un parc, et quand il était épuisé à

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