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6l6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

œuvre de M. Henry Bernstein. Une pièce sur Judith écrite par lui, jouée par Madame Simone, — je ne sais si on comprend, sans que j'insiste, tout ce que signifie le rapprochement de ces deux noms, — cela pouvait être une belle chose, une chose curieuse et attachante. Je ne vois pas au reste pourquoi je ne dirais pas toute ma pensée. Je n'ai en vue, ici, qu'une question d'art et de littérature. M. Henry Bernstein est juif et cela a son- vent marqué, plus même qu'il ne l'aurait voulu, les héroïnes de son théâtre. Madame Simone est juive, et le tempérament et le caractère de sa race ont passé dans tous les rôles qu'elle a joués. Il y avait là pour tous les deux, avec le personnage de Judith, l'héroïne et le rôle rêvés. Eh ! bien, malgré tout cela, on n'a pas la sensation de la réussite jusqu'au bout. Je le dis avec regrets, avec scrupules aussi. Il s'en faut de bien peu, mais ce peu compte, puisque l'impression qu'on emporte de l'œuvre dépend de lui. Ce peu tient uniquement dans les deux derniers tableaux. A mon avis, ils sont parfaitement inutiles. Ils déton- nent dans l'ensemble de la pièce. Ils font l'effet d'un réalisme cru, de deux tableaux du Musée Grévin succédant à un débat presque purement philosophique. Si bien commencer est im- portant dans une œuvre littéraire, bien finir ne l'est pas moins, surtout finir en harmonie avec l'ensemble.

Le sujet imaginé par M. Henry Bernstein avec le per- sonnage de Judith est très beau. Judith, bien qu'ayant été mariée, demeure ignorante de l'amour, en esprit et physi- quement. Il y a là un domaine de choses auxquelles on sent qu'elle rêve parfois avec curiosité. Elle surprend une de ses servantes accouplée avec un homme, malgré le ris- que de mort qu'entraîne pour elle une telle action. Elle veut tout d'abord donner à cette femme le châtiment qu'elle s'est attiré, puis elle se ravise, et lui promet la vie sauve, à condition qu'elle lui raconte, dans les détails les plus intimes, les plaisirs et les voluptés qu'elle éprouve à aimer et être aimée. Ils doi- vent être bien forts, pour qu'elle ait risqué pour eux jusqu'à sa vie ? La servante obéit, ne cache rien. Judith écoute avidement, veut toujours savoir plus, et rêve plus que jamais à ces choses qui restent un mystère pour elle. Mais une autre rêverie l'oc- cupe davantage, un autre désir. C'est le désir de la gloire, celui d'accomplir une grande action qui fera vivre son nom à travers

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