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630 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

lescence qui firent le délice de la nôtre repris aujourd'hui à voix d'homme. De « patriarche », dirait Jammes.

Mais ce serait peu si ces mémoires devaient tout leur charme à cette évocation du passé. Ils ont un autre mérite, tout présent et intrinsèque : ils mettent en lumière un côté de Francis Jammes jusqu'ici inconnu, ou connu seulement de ceux qui avaient entendu sa conversation primesautière, anecdotique, ponctuée d'un léger accent béarnais. La prose de Clara d'Ellé- beuse ou de Pomme d'Anis* aérienne et cristalline, rend un autre son que celle des mémoires : elle fuyait l'indication générale économiquement fournie par l'abstrait, et lui substituait un seul détail choisi qui éclairait par allusion tous les autres détails nécessaires à l'ensemble du tableau, préservant ainsi sa brièveté et son lyrisme. La prose des mémoires n'épargne aucun détail, elle procède classiquement, sans silences. L'anecdote naît et monte à son apogée, sans hâte, moulée sur le réel en appa- rence, en réalité déformée dans l'exacte mesure où l'art le réclame.

Le rapprochement que voici ne plaira peut-être beaucoup ni à l'un, ni à l'autre : Jammes mémorialiste fait souvent penser à Léautaud-Boissard. Et dans les portraits plus encore peut-être que dans l'anecdote : comparez par exemple les portraits de la chienne Flore (pp. 106, 150 et passim) avec les pages de Léau- taud sur ses chiens et chats, celui de Loti (p. 166) à celui de Philippe par Boissard. Un Jammes caractériste, comme disent les Italiens, voilà du nouveau et qui réjouit.

Parfois le texte s'ouate d'onction, s'humecte d'eau bénite. Jammes moralise, rend grâces au Seigneur ou exorcise le diable. Le mécréant d'abord sourit, mais pas longtemps. Que Jammes si sensible à tous les ridicules aille risquer celui-là pour son propre compte, c'est la preuve d'une sincérité entière, d'un mépris du respect humain qui commande le respect tout court.

On comprend mieux Jammes poète, après avoir lu ses souve- nirs. Qu'on en compare la sérénité évangélique au tumulte fac- tice et vain qui s'agite dans le Journal des Goncourt ou dans Les Vivants et les Morts de Léon Daudet, qu'on compare cette vie de poète à ces vies d'hommes de lettres ; il y a là un parallèle à instituer, une leçon à dégager dont le contemplatif ne se tirera peut-être pas à son désavantage, en tout cas de quoi longue-

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