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NOTES 631

ment rêver sur l'existence, sur Paris, sur la province, sur soi- même. C'est beaucoup.

BENJAMIN CRÉMIEUX

LA POÉSIE

LE SECRET PROFESSIONNEL, par Jean Cocteau (Stock).

Rien, dans son œuvre, mieux que ce petit livre de théorie ne saurait démontrer que M. Cocteau est poète. Sitôt qu'on l'a fermé, si l'on veut s'en souvenir, ce n'est plus qu'un défilé, dans la mémoire, des plus subtiles métaphores, une espèce de cavalcade où les idées sont si bien costumées qu'on ne les reconnaît plus. L'auteur lui-même, sentant que le lecteur y aurait quelque peine, a tâché de résumer dans les dernières pages l'apport doctrinal de son livre, mais aussitôt c'est, pour chaque article, une nouvelle comparaison qui lui est venue à l'esprit, et si séduisante, si ravissante au sens propre qu'elle a entraîné, draîné, presque effacé la thèse.

Pourtant on ne peut pas dire qu'une telle façon, purement sensible, de réfléchir, soit vaine. Les chemins par où Cocteau nous fait passer ont beau n'être que d'air, comme ceux que suivent ses chers acrobates : il reste quelque chose à l'esprit de les avoir parcourus. Je ne sais pas dire quoi. Mais écoutez :

Selon toujours ce luxe qui consiste à user sans commentaires de certains termes évidemment interprétés par le lecteur d'une toute autre sorte que par nous, les poètes parlent souvent des anges. Selon eux et selon nous l'ange se place juste entre l'humain et l'inhumain. C'est un jeune animal éclatant, charmant, vigoureux, qui passe du visible à l'invisible avec les puissants raccourcis d'un plongeur, le tonnerre d'ailes de mille pigeons sauvages. La vitesse du mouvement radieux qui le compose empêche de le voir. Si ce mouvement ralen- tissait, sans doute apparaîtrait-il. C'est alors que Jacob, un vrai lutteur, lui saute dessus. Beau spécimen de monstre sportif, la mort lui demeure incompréhensible. Il étouffe les vivants, et leur arrache l'âme sans s'émouvoir. J'imagine qu'il doit tenir du boxeur, du bateau à voiles.

Bien que la pensée soit ici emportée au gré des images et qu'on ne sache pas bien si c'est à l'ange ou à celui qui le ter- rasse que le poète est comparé, l'ensemble du morceau finit

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