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ALAIN-FOURNIER 645

noua sans péripéties; nos différences de caractère se firent jour avant nos ressemblances. Fournier, animé de l'esprit d'indépendance qu'il devait attribuer plus tard à Meaulnes, avait entrepris d'ébranler la vénérable et stupide institution de la Cagne, c'est-à-dire la constitution hiérarchique qui réglait les rapports des élèves de rhétorique supérieure et l'ensemble de rites et d'obligations humiliantes que les anciens imposaient aux « bizuths ». Il avait pris la tête d'une coterie de révoltés, avec laquelle je sympathisais secrètement, mais que ma timidité et mon désir d'éviter les distractions m'empêchèrent de rallier tout de suite.

J'observai longtemps une neutralité rigoureuse dans la bataille qui opposait mes camarades. La figure de Fournier m'intéressait pourtant déjà vivement. Parmi ces jeunes gens, dont plusieurs étaient comme lui fils d'instituteurs, mais que leurs dispositions universitaires rendaient déjà légère- ment compassés, il surgissait libre, joueur, ivre de jeunesse. Ce que l'atmosphère où nous étions plongés avait d'un peu pédant et artificiel, il le faisait par instants drôlement fuser au dehors et nous restituait le caprice dont nous avions besoin pour respirer.

Je le regardais combiner ses offensives contre le «Bureau», je lisais les pétitions révolutionnaires qu'il faisait circuler pendant l'étude. Je me sentais un peu scan- dalisé, un peu effrayé, fort séduit malgré tout par son per- sonnage.

Je ne pensais pourtant pas à me rapprocher de lui. C'est lui qui me fit le premier des avances, d'ailleurs mêlées de taquineries et de moqueries, qui me furent, je l'avoue, très insupportables. De toute évidence je l'agaçais un peu, si je l'attirais aussi ; ma nature appliquée, scrupuleuse, méticu- leuse lui donnait des impatiences. Il me jouait des tours que je ne prenais pas toujours très bien. Que de fois, en rentrant de récréation, je trouvai mon pupitre bouleversé, mes livres en désordre : Fournier avait passé par là. Je lui en voulais de tout mon cœur !

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