Page:NRF 19.djvu/651

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ALAIN-FOURNIER 649

Dès la rentrée de janvier, délaissant les occupations dites sérieuses et la préparation de 1' « Ecole », nous achetâmes les œuvres de Henri de Régnier, de Maeterlinck, de Viélé- Griffin et nous les dévorâmes.

Je ne sais s'il est possible de faire comprendre ce qu'a été le Symbolisme pour ceux qui l'ont vécu. Un climat spirituel, un lieu ravissant d'exil, ou de rapatriement plutôt, un paradis. Toutes ces images et ces allégories, qui pendent aujourd'hui, pour la plupart, flasques et défraîchies, elles nous parlaient, nous entouraient, nous assistaient ineffablement. Les « terrasses », nous nous y promenions, les « vasques », nous y plongions nos mains et l'automne perpétuel de cette poésie venait jaunir déli- cieusement les frondaisons mêmes de notre pensée.

Où le Griffon a-t-il enterre le Saphir ?

Nous y eussions conduit sans hésiter le premier de ces chevaliers masqués, surgis aux lisières ou près des sources apparus, qui nous eût demandé le chemin.

Nous ne connaissions encore ni Mallarmé, ni Verlaine, ni Rimbaud, ni Baudelaire. C'était dans le monde plus vague et plus artificiel construit par leurs disciples, que nous nous mouvions, sans soupçonner qu'il n'était qu'un décor qui nous cachait la vraie poésie.

Pourtant des différences non pas tant de goût que de prédilection ne tardèrent pas à apparaître entre Fournier et moi. Tandis que je mettais au premier plan Maeter- linck, pour la profondeur philosophique que je lui attri- buais libéralement, et plus tard Barrés, dont l'idéologie me ravissait, Fournier élisait avec une affection farouche Jules Laforgue d'abord, ensuite Francis Jammes. Ces deux admirations qui le prirent vers 1905, valent la peine d'être analysées, car elles sont révélatrices de certaines tendances très profondes de son esprit.

�� �