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LE FLEUVE DE FEU 689

fuses et soudain cette exclamation de la voyageuse :

— Comment ? Madame de Villeron n'est pas ici ?

Elle insistait : une dame, avec sa petite fille... Et comme les Pédebidou se rendaient témoignage l'un à l'autre de ce qu'ils n'avaient reçu aucune lettre, l'étrangère se lamenta :

— C'est incroyable ! Je n'y comprends rien ! Mon amie m'avait donné rendez-vous ici ce soir.

Elle était surtout étonnée qu'il n'y eût pas de télé- gramme à son adresse. Mais Madame Pédebidou, comme si elle en avait reçu l'avis mystérieux, promit à sa cliente qu'elle aurait une dépêche le lendemain : « A la première heure, bien certainement, Madame. »

Les voix se perdirent dans le vestibule puis de nouveau retentirent dans l'escalier. Une porte voisine grinça; Daniel Trasis avait décroché son smoking ; il se rasa de près, des- cendit au deuxième coup de cloche et, traversant le vesti- bule, alla droit à « la liste des étrangers » où, jusqu'à ce jour, il avait figuré seul. Déjà le nom de la voyageuse était calligraphié au-dessous du sien. Il lut : Mademoiselle de Plailly. Une jeune fille, à l'hôtel ? Il comprenait pourquoi l'absence de son amie l'avait émue ; car il ne doutait point que ce fût une très jeune fille. Il présumait qu'au restau- rant, pour les commodités du service, leurs tables seraient rapprochées ; aussi fut-il déçu de dîner solitaire encore, dans la salle où craquaient les bottines neuves de la grande haridelle qui, mitrée d'une haute coiffe, servait. Elle apprit à Daniel que la demoiselle mangeait dans sa chambre, sans appétit : « Elle se fait du mauvais sang, la pauvre. » Daniel demanda une demi-bouteille de Cliquot ; il ne s'ennuyait plus. Souvent il s'était comparé à ces rongeurs dont les dents ne doivent pas une seconde rester inactives. Il alla sur la route pour attendre la nuit — moins attentif aux bruissements, aux odeurs qui lui rappelaient d'autres soirs de Juin dans son enfance et sous un ciel familier, qu'à ce qui appartenait en propre à cette vallée pyrénéenne : ces hauts pays encore touchés de soleil, ces hauteurs où tin-

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