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720 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

succès aux romans de Georges Ohnet, un critique officiel, un professeur de rhétorique comme Jules Lemaître intervient et lui expose qu'elle a tort. Quand la critique patentée boycotte Flaubert et Baudelaire comme elle a boycotté jadis le Cid, et que le public finit par les lui imposer, elle se résigne, mais de

��mauvaise grâce.

��Malgré les Sévigné, les Grimm, les Rivarol et les Joubert, ce que nous possédons de la critique parlée du passé ne représente qu'une part infime de scripia mdnent à côté de tout le verba volant. Aussi bien cela n'a-t-il pas grande impor- tance, étant donné que, pour les œuvres anciennes, la critique parlée a passé dans la critique écrite, didactique, et que ce qui nous intéresse aujourd'hui en elle, c'est ce que ne peut guère remplacer la critique aux doigts d'encre, je veux dire l'impression fraîche et sincère de la littérature qui vient de naî- tre, le vin bourru au sortir du pressoir. Il n'en est pas de même de la critique des artistes, c'est-à-dire de celle qui est faite par les écrivains eux-mêmes. Celle-là comprend, surtout en France, d'abondantes manifestations. Il est peu de grands écrivains qui n'aient exposé leurs vues sur leur genre et sur leur art, qui n'aient défendu leur façon d'écrire et attaqué celle des autres. C'est là une tradition classique que les romantiques se sont gar- dés de laisser perdre.

La critique professionnelle, ou critique de professeur, qui n'est que l'une des trois critiques, et qui tend naturellement à faire croire qu'elle est la seule, à jeter le discrédit sur les deux concurrentes (qui le lui rendent) est tout de même arrivée à obscurcir ce mérite des grands romantiques, qui est d'avoir fondé et enraciné vigoureusement la tradition d'une critique d'artiste. Chateaubriand, Hugo, Lamartine, Gautier, Baudelaire, Paul de Saint-Victor, Barbey d'Aurevilly, voilà une chaîne critique qu'on peut fort bien comparer à la chaîne La Harpe-Ville- main-Saint - Marc Girardin -Sainte-Beuve-Taine-Brunetière- Faguet : l'une et l'autre offrant des qualités et des défauts opposés, l'une et l'autre se méconnaissant et s'injuriant comme il est naturel. Cette critique, qu'on peut faire remonter à Diderot, a été baptisée par Chateaubriand d'un nom assez

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