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de l'esprit n'était plus tolérable ni même possible en un âge aussi éclairé que le nôtre ; tous ceux qui, malgré un hausse- ment d'épaules et « Ils ne savent pas ce que c'est que la Littéra- ture », n'arrivaient pas à se débarrasser de cet incube qui, prenant la voix de Laforgue, leur soufflait : a Pauvre, as-tu fini tes écritures ? » (nous étions si jeunes et on nous décourageait tant) — tous ceux-là seront reconnaissants à F. Vandérem du coup de balai qu'il a donné, et d'une main si ferme.

Il n'y a qu'un point de l'argumentation de Vandérem sur lequel je ne suis pas de son avis, mais cela n'a rien à voir avec la question des manuels. C'est lorsque, indigné de voir ses pédants donner dix pages à M me de Staël pour une qu'ils accordent à Stendhal, il rabaisse indûment le mérite de M me de Staël. Oh, je ne suis pas un grand admirateur de M me de Staël ! Pas même son lecteur consciencieux : j'ai, autrefois, très vague- ment feuilleté Delphine et De iï Allemagne, et il n'y a pas plus de six ans que je me suis décidé à lire (c'est si long !) Corinne. Mais quand je l'ai lu, j'ai été surpris de lui voir tant de qualités. Une foule de remarques très fines sur ce qu'on appelait alors oc le cœur humain » ; un grand talent à peindre des coins de paysage (une gondole attendant, immobile, dans la nuit) et à saisir des traits d'époque ; et puis ces « portraits si plaisamment caractéristiques des différentes nations » (les contrastes entre ses Anglais, ses Français et ses Italiens, si vrais encore aujour- d'hui), et puis aussi une admirable et dramatique histoire insérée dans la grande histoire, — un peu lente et molle, — du livre. Replaçant tout ça dans son temps, c'est-à-dire avant Sten- dhal, on y voit le génie moraliste des grands Français du xvn e et du xvm e siècle sortant des frontières nationales, regardant en dehors, projetant son rayon pour la première fois sur des étrangers (oh, si La Bruyère !...) et mettant toute l'Europe dans son champ d'observation, — une autre conquête, et moins éphémère, que celles de Napoléon ! Avouons que tout cela vaut bien au moins quatre pages de manuel, si Stendhal doit en avoir douze. valery larbaui>

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