Page:NRF 19.djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

94 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

longue aussi monotone, qui reste en tout cas aussi extérieur à nous-mêmes. Même élaborés à la perfection, comme ceux de Rou- manille, ils ne pénètrent jamais jusqu'à l'âme. Mais Henri Pour- rat, — comme Selma Lagerlof et Albert Ades et Josipovici — a su éviter la froideur de l'anthologie et des «morceaux détachés», il a incorporé sa matière à un ensemble cohérent, l'a fait graviter autour d'un héros central, d'une donnée médiane qui servent d'épine dorsale au récit et permettent d'y rattacher toutes les digressions. Chaque conte, au lieu de former un tout isolé, extérieur à ce qui l'entoure et à peu près étanche, naît de l'am- biance recréée par le romancier (faut-il dire le romancier ou le poète ?) et s'échappe de cette vie rustique aussi naturelle- ment que la fumée d'un toit.

Gaspard, c'est le joyeux héros auvergnat, serviable et gogue- nard, courageux et fûté, grand redresseur de torts et videur de chopines. Il est comme Gôsta Berling, comme le Grosso Minuto des veillées de Corse, le héros triomphant, tandis que Goha le Simple est le héros souffre-douleur, si fréquent dans les folks- lore, comme le gavacbe du. Languedoc ou l'homme de Fraimbois des contes de Lorraine (sans oublier Chariot au cinéma).

Mais si Gôsta Berling et Goha nous emportaient en plein exotisme, nous dépaysaient, Gaspard des Montagnes, si l'on peut dire, nous « repayse ». Toutes les légendes reprises par Henri Pourrat sont de vieilles histoires françaises, et seuls les natifs de Paris n'en ont pas eu leur enfance bercée. En Savoie et en Bretagne, en Bourgogne et en Limousin, en Gascogne et en Berry, dans toutes les provinces, ce sont les mêmes contes, avec les variantes locales qu'apportent la proximité de la mer, de la montagne ou de la grande ville. Commères bavardes, maris ivro- gnes et querelleurs, curés paillards et gloutons, adolescents benêts ou délurés, frairies et épousailles, tout cela pour rire ; les impôts, la corvée, la conscription, la grêle, l'incendie ; aux époques de désordre, le brigandage, l'arrêt des diligences, les chauffeurs masqués pénétrant dans les fermes, les auberges san- glantes et aussi le surnaturel : loups-garous, démons, farfadets, korriganes, tout cela pour peiner et frémir. Ce n'est donc pas seulement la vieille Auvergne que ressuscite Henri Pourrat, c'est toute l'âme paysanne de la France, ou au moins celle du Sud de la Loire, des provinces d'Oc.

�� �