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9 6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Pour écrire un livre collectif, Henri Pourrat a eu l'idée d'utiliser toutes les traditions de son pays, chaque jour plus délaissées, mais chaque jour aussi s'alourdissant d'un peu plus de poésie, — cette poésie qui crée les âges d'or — et de hausser jusqu'à l'art ces traditions. Tout naturellement, comme autrefois Rabelais et l'Arioste, il a fixé le coefficient d'ironie nécessaire à son entreprise et a donné à son récit la forme d'une épopée héroï-comique. Il a perçu également quel était l'élément moderne qui devait se substituer à l'élément chevaleresque du Roland furieux ou du Don Quichotte. Cet élément que la basse littérature et le cinéma d'aujourd'hui nous prodiguent, dont ils nous ont imbibés, c'est l'élément policier.

On ne peut qu'admirer la conception d'Henri Pourrat qui égale les plus grandioses de la littérature. Si l'exécution avait répondu au programme, les lettres françaises se seraient enri- chies d'un authentique chef-d'œuvre, puissamment représen- tatif de la race. Gaspard des Montagnes n'est qu'un beau livre.

Pour être un grand livre, trois choses lui font défaut : des caractères, des passions, un style. Ces personnages tradition- nels du folk-lore, il eût fallu les typifier, en approfondir, en humaniser quelques-uns, les marquer de traits généraux ineffa- çables, nous donner un Sancho, un Rodomont ou un Panurge. Les passions aussi sont trop anodines : cela manque d'avarice, de luxure, d'âpreté paysanne. Gaspard manque par trop de tru- culence. Les méchants et les traîtres ne le sont qu'à moitié. Voyez ce qu'un Shakespeare a fait d'une simple querelle de clocher : Roméo et Juliette.

Le style enfin. Sur ce point sans doute, Henri Pourrat n'aura que des louanges, et depuis longtemps, en effet, on n'avait ren- contré pareil langage droit et dru, sans cesse savoureux. Mon reproche, c'est précisément qu'i*l soit trop uniquement savou- reux, trop proche du patois d'Auvergne où il prend sa source. Là encore il eût fallu transposer, généraliser ; dialoguer peut-être dans ce style, mais écrire les récitatifs et les descriptions d'une autre encre. Rédigé comme il l'est, Gaspard des Montagnes reste trop un plat local, au lieu de se hausser jusqu'à l'épopée pay- sanne qu'il aurait pu devenir.

Henri Pourrat protestera qu'il n'a point rêvé si haut. C'est tant pis. Il a, dans le charpentage de son œuvre, fait preuve

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