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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

du livre même — où je vois après tout plus de sottise encore que d’indécence — mais honte à songer qu’Abel, Abel Vautier, ton ami, Pavait écrit. En vain j’ai cherché de page en page ce « grand talent » que le critique du Temps y découvre. Dans notre petite société du Havre oh l’on parle souvent d’Abel, f apprends que le livre a beaucoup de succès. J’entends appeler « légèreté » et « grâce » V incurable futilité de cet esprit ; naturellement j’observe une prudente réserve et je ne parle qiià toi de ma lecture. Le pauvre pasteur Vautier, que j’ai vu d’abord justement désolé, finit par se demander s’il n’aurait pas plutôt raison d’être fier ; chacun autour de lui travaille à le lui faire croire. Hier, chez tante Plantier, Mme V. lui ayant dit brusquement : "Vous devez être bien heureux, Monsieur le pasteur, du beau succès de votre fils !… « Il a répondu un peu confus : » Mon Dieu, je n’en suis pas encore là… « — » Mais vous y venez ! vous y venez, " a dit la tante, sans malice certainement, mais d’un ton si encourageant que tout le monde s’est mis à rire, même lui.

Que sera-ce donc lorsqu’on jouera « le Nouvel Abailard » que j’apprends qu’il prépare pour je ne sais quel théâtre des Boulevards et dont il parait que les journaux parlent déjà !… Pauvre Abel ! Est-ce vraiment là le succès qu’il désire et dont il se contentera !

Je relisais hier ces paroles de /’Internelle Consolacion. " Qui vrayment désire la gloire vraye et pardurable ne tient compte de la temporelle ; qui ne la mesprise en son cueur, il se monstre vrayement qu’il n’ayme pas la celestielle ", et j’ai pensé : Merci, mon Dieu, d’avoir élu Jérôme pour cette gloire celestielle, auprès de laquelle l’autre n’est rien."