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I98 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'ordre, la netteté, le silence, tout racontait à mon cœur sa pureté et sa pensive grâce.

Je m'étonnai, ce matin-là, de ne plus voir au mur, près de son lit, deux grandes photographies de Masaccio que j'avais rapportées d'Italie; j'allais lui demander ce qu'elles étaient devenues, quand mon regard tomba, tout auprès, sur l'étagère où elle rangeait ses livres de chevet. Cette petite bibliothèque s'était lentement formée, moitié par des livres que je lui avais donnés, moitié par d'autres que nous avions lus ensemble. Je venais de m'apercevoir que ces livres étaient tous enlevés, remplacés uniquement par d'insigni- fiants petits ouvrages de piété vulgaire pour lesquels j'espé- rais qu'elle n'avait que du mépris. Levant les yeux soudain, je vis Alissa qui riait — oui, qui riait en m'ob- servant.

— Je te demande pardon, dit-elle aussitôt ; c'est ton visage qui m'a fait rire ; il s'est si brusquement décomposé en apercevant ma bibliothèque...

J'étais bien peu d'humeur à plaisanter.

— Non vraiment, Alissa, est-ce là ce que tu lis à présent ?

— Mais oui. De quoi t'étonnes-tu ?

— Je pensais qu'une intelligence habituée à de sub- stantielles nourritures ne pouvait plus goûter à de sembla- bles fadeurs sans nausée.

— Je ne te comprends pas, dit-elle. Ce sont là d'hum- bles âmes qui causent avec moi simplement, s'exprimant de leur mieux, et dans la société desquelles je me plais. Je sais d'avance que nous ne céderons, ni elles à aucun piège du beau langage, ni moi en les lisant à aucune profane admiration.

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