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SUITE AU RECIT ... 355

animé des meilleurs sentiments de repentir et de piété que j'aie eus de ma vie que je m'acheminai le lendemain vers le séminaire. A la vue de Saint-Sulpice il me sembla que je touchais à un paradis, que les arbres, les maisons, les pierres et les murs m'attiraient avec une puissance invincible. Mes mains tremblaient, mon cœur battait ; mes yeux se mouillaient de larmes ; dans mon exaltation j'eusse embrassé le sol et les portes du cloître ; je me fusse jeté à genoux sur les marches ; j'eusse appelé Tiberge à voix haute. J'eusse voulu voler au devant de mon ami ; mais l'état de fièvre où j'étais me défendait d'avancer aussi vite. Enfin je maîtrisai mon cœur, je dominai mon désordre et j'entrai. Je revis, en un moment, le préau, les dortoirs et la salle de l'école de théologie où j'avais prêché. Ma vie était là comme un fleuve qui remonterait vers sa source. J'étais dans mon passé, j'étais dans ma jeunesse. " Manon ! " pensai-je. Oui, c'était là le parloir où elle était venue me tenter, où elle m'avait repris, où elle avait l'air de l'amour même ! " Mon Dieu ! mon Dieu ! me dis-je, vous me montrez Manon et c'est Tiberge que je veux ! " Je pris ma résolution ; je péné- trai dans la loge où est le frère portier. Je lui demandai aussitôt après Tiberge. — " Hélas ! monsieur me dit cet homme, huit jours plus tôt vous l'eussiez vu encore. Mais un voyage urgent l'a forcé de s'éloigner. Il est sur le chemin de Rome et porte au Saint-Siège des lettres de ces Messieurs.

La foudre tombant à mes pieds ou la mer s'ouvrant devant moi ne m'eussent pas plus atterré que ces mots du portier. — " Au moins, dis-je, sa commission remplie, Tiberge reviendra à Saint-Sulpice ? " — " Je ne pense

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