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522 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

se décide à conclure: "Admirez celui-ci!" ou "Détestez celle-là! ", c'est en toute indifférence qu'il fait pencher le plateau.

Une telle indifférence peut satisfaire tant qu'il s'agit de politique; mais lorsqu'elle devient, pour ainsi parler, métaphy- sique, nous ne la supportons pas sans révolte. " On y voit, dit Scantrel, en parlant des œuvres de Suarès, les victoires de la raison sur toutes les folies, même les plus belles, et l'on y suit les victoires de la foi sur la raison qui se vante. Au terme, il faut un acte de foi pour vivre. " Nous avons cherché vainement cet acte de foi dans l'œuvre de Suarès. Nous sommes entrés dans sa Poésie, autrefois, comme dans un temple du Cœur. " Rien n'est, mais j'aime," disait- elle... " Le long des allées, les orangers en fleurs parlent de noces immortelles"... "Le rossignol noir dans le vieil orme est une étoile qui chante filii etfiliœ." Ceux qui connaissent cette poésie : ceux qui ont goûté à ce néant et pressenti ce paradis, c'est en vain qu'ils se sont attachés aux pas du poète, pour savoir " où le cœur mène " — " Cur quœris nomen meum quod est mirabile ?" répondait-il, ainsi que l'ange de Manué. Et nous restions dans l'attente épouvantée d'un émerveillement : nous espérions, à la dernière profondeur de ses négations, " la révélation d'un nouveau monde."

Or, Scantrel, aujourd'hui, pressé de répondre, a pris le parti le plus hâtif et le plus désespéré. Sa réponse est celle de Renan. Il compare la certitude à un jardin mélancolique où passent " des ombres presque heureuses... La sérénité infinie, dit-il, a peut-être un tel sourire de tristesse qui sait". C'est le mot décevant que nous ne pouvons pardonner à Renan : " La Vérité est peut-être triste. "

Après le Bouclier du Zodiaque, cette sombre procession d'as- tres, c'est un autre livre qu'il nous est permis d'attendre : peut-être, " le bréviaire de l'église future " que Suarès lui- même nous promet. Il faut souhaiter que tant de douleur, si belle, ne demeure pas stérile et perdue comme une souffrance d'enfer. Alain-Fournier.

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