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notes 539

d'être pardonnée. Comme la prière, dont elle emprunte les modes invariables, elle est à la fois rigide et haletante.

Bach prend les idées l'une après l'autre. A chacune il s'attache jusqu'à l'avoir exprimée complètement; il ne la quitte pas qu'il ne l'ait épuisée. Il l'insère en une forme fixe, chœur, air ou récit, dont les formes abstraites désignent d'avance tous les trajets par lesquels, pour l'explorer entière, il la faudra sillonner. A l'intérieur de cette forme, une grande musique, fiévreuse et unie, se développe; elle parcourt longue- ment l'espace qui lui est donné, elle le crible de ses pas nombreux, elle le couvre de sa marche précipitée et régulière. Admirable piétinement ! Il n'est pas d'issue par où je puisse m'échapper; je suis conduit avec violence; je ne peux qu'obéir à la main qui m'a saisi; il faut que j'éprouve jusqu'au bout. Sous cette prise étroite et sévère, je me sens malmené comme par la pénitence. — Quand le texte qu'elle commente a été complètement exprimé, la musique longuement s'arrête; elle se rassemble toute; elle vient, avec une consciencieuse passion, se réunir sur la tonique. On discerne dans son ralentissement une satisfaction austère, comme en ceux qui n'ont agi qu' " afin que toutes choses soient faites".

Les Chœurs, les Airs, et les Chorals, forment la partie lyrique de la Passion selon St- Jean: avec dureté l'âme chrétienne fait l'application à soi des paroles de l'Evangile, tourne vers soi le grief du Sauveur. Dans les Chœurs, l'orchestre tout de suite entreprend ses rapides et rigides montées, l'ascension sombre- de ses traits uniformes, son grand mouvement indiscontinu, qui se recouvre sans fatigue. Les voix ajoutent la régularité âpre de leurs échanges ; jamais la phrase n'est délaissée par elles, elle s'enchaîne sans cesse avec elle-même et la reprise perpé- tuelle de son intégrité dessine des ondulations inflexibles. Toute cette musique est en proie aux amples pulsations de la prière, elle respire fortement, toute dressée et plaintive, elle s'agite comme un cœur bouleversé d'adoration. — Elle ne progresse pas; tout de suite elle énonce tout ce qu'elle a à dire, puis ne fait plus que le répéter. Mais la répétition même augmente peu à peu l'émotion jusqu'aux larmes; chaque

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