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FERMINA MARQUEZ 645

revient quelquefois, mais qui ne dure jamais assez pour que l'aspect des lieux et que les traits des gens se gravent dans la mémoire du dormeur. Même la notion de leurs liens de parenté était incertaine, pour lui ; cette vieille dame, était-elle une invitée de chaque dimanche, une tante de province, ou bien la mère de son correspondant ? 11 les prenait les uns pour les autres. Il ne reconnaissait avec certitude que son correspondant lui-même : il avait toujours une redingote à revers de soie et une calotte de velours noir.

Il pouvait bien les ignorer ; eux, ne se gênaient pas pour lui : ils continuaient devant lui leur existence quotidienne, parlant de choses et de personnes qu'il ne connaissait pas. C'était un rêve, ni bon ni mauvais ; fati- gant, plutôt ; parce que, bien qu'il évitât avec soin de se mêler à l'action des personnages, il devait s'observer et répondre quand on l'interrogeait. A table, par exemple, vous ne savez jamais si c'est vraiment à vous qu'une question s'adresse.

Donc, en ce jour d'été, sous le plafond des rues fraîche- ment peint en bleu, Camille Moûtier rêva qu'il se promenait avec Gustave, le fantôme qui faisait son droit. Gustave était un peu honteux d'être vu avec un potache. Et toute conversation, avec ce gosse, lui semblait impossible : ils n'avaient rien de commun. C'était une journée perdue. Mais bah, il retrouverait bien d'autres journées d'été, qui le dédommageraient de celle-ci ; d'autres journées, passées en des compagnies infiniment plus intéressantes. Il répon- dait par monosyllabes à Camille Moûtier qui lui expli- quait abondamment la découverte du Darien, l'expédition de Balboa, et comment la Nouvelle-Grenade était devenue

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