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654 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

propriétaire foncier du Globe ! Et mon jour viendra. Il est bien venu pour le lieutenant Bonaparte. Est-ce que : Joanny Léniot, cela ne sonne pas aussi bien ? Pour flatter mes parents, les petites gens chez nous me disent volon- tiers : " Vous serez si riche un jour, M. Joanny ". Ils ne se doutent guère combien je serai riche en effet. Ils en mourraient d'envie. — Voulez-vous une preuve de mon génie ? eh bien écoutez ceci :

" Mon père, il y a quelques années, avant qu'il me mît à Saint-Augustin, me fit suivre, pour quelque temps, les classes d'une école primaire de notre quartier, à Lyon. Mon père, dois-je dire, avait l'intention de se porter candidat à je ne sais quelle dignité publique. Ce fut pour flatter la plèbe qu'il me fit fréquenter cette école. Je dus la quitter au bout d'un mois : les élèves — tous — me persécutaient et auraient fini par me tuer. On a pensé qu'ils étaient jaloux de mes habits de bourgeois, de mes bonnes manières, de la richesse de mon père, enfin, chagrins que je ne fusse pas un de leurs semblables, c'est-à-dire : un voyou. Il y avait bien un peu de tous ces sentiments dans leur haine pour moi ; mais cette haine était vraiment trop forte : ils avaient deviné l'homme de génie en moi, et c'était l'homme de génie que ces jeunes Gaulois persécutaient, d'instinct.

" Les hommes se sont dit : Il nous est étranger ; ah ! le jour où, les ayant mêlés à tous les peuples de l'Empire dans l'immense creuset de mon armée ; ayant fait, de ces sauvages Gaulois de l'intérieur, des Citoyens romains, je passerai devant le front de leurs légions, de quel cœur ils crieront, mes insulteurs d'autrefois : Ave Caesar ! — Et, lorsque les petits-enfants de leurs arrière-petits-enfants liront l'histoire de ma vie dans leurs manuels d'histoire,

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