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lOO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Ce détail lui rendit la sensation des événements. Dans le désarroi de ses pensées il chercha des yeux une issue. Des bordées de sifflets à roulettes s'entrecroisaient ; elles montaient les unes par dessus les autres ; elles couvraient le sens des hurlements. On ne percevait plus de chocs précis. La seule pesée de la masse faisait plier la devanture, visiblement. Le fracas venait de partout. La boutique restait seule, comme un cube infime et douloureux au centre d'un univers en clameur.

Les pires attitudes parurent naturelles. Roulés à terre, deux des hommes, poussaient des cris ininterrompus. La femme avait ressaisi ses enfants. Debout, dans un geste de mélodrame, le vieillard ouvrait les bras en croix et tendait sa poitrine creuse vers les envahisseurs. Ses cheveux faisaient une couronne paisible au visage violacé par la colère.

C'était la panique. Le Voyageur prit son élan. Il vociférait :

— " Buenos-Ayres ! En Argentine ! "

Ce qui n'avait aucun bon sens.

Il perçut d'abord à un décimètre de ses yeux le nez anguleux et agressif de la Juive russe. Avant d'avoir retrouvé son équilibre il avait eu le visage grêlé d'une multitude de coups osseux. Il se protégea tant bien que mal, la repoussa pendant qu'elle le couvrait d'un torrent de malédictions suraiguës, et partit, les mains en avant.

Il se retrouva dans un semis de verre cassé au fond d'une petite cour pavée. Les pariétaires des murs bas dentelaient les bords d'un ciel étonnamment pur, sombre et constellé. Comme ferré d'étoiles neuves. Une Grande-

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