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LivY 103

la boutique. Après un mouvement d'hésitation, il le suivit, distingua par éclairs les ustensiles de nickel qui brillaient à leur place, les vélos militairement alignés, et l'angle parallèle que faisait l'inclinaison de leur roue d'avant.

Lévy appliqua longuement l'oreille sur la vitre de la porte. Ensuite il la déverrouilla, et ouvrit la chaîne de sûreté dont il garda l'extrémité dans sa main droite, celle qui tenait le bougeoir. Il entrebâilla l'issue, en élevant la lumière pour éclairer le visage du Voyageur. Un long pan de pavés bleus se glissa par l'ouverture. Le silence de ce vide était tragique.

Le Voyageur se tenait près de l'huis, le cœur battant dans la gorge et les jambes très lasses. Il marmotta des propos sans signification, allongea la main, rencontra un appendice moite qui se laissa étreindre sans réagir.

C'est ainsi qu'il s'en alla de la boutique du Juif.

Quand il fut à son hôtel il constata que son faux-col était ramolli comme au sortir d'un bain ; il y observa une marbrure de taches noires ainsi que des petites particula- rités rougeâtres. Puis il dormit dix-huit heures d'affilée, et, réveillé, prit le premier train par qui l'on pût quitter la Capitale de l'Ouest.

��Dix ans font d'un jeune homme un homme jeune, d'une barbe brune une barbe poivre, d'un crâne un genou, d'une bonté une mollesse et d'un lot d'émotions riche comme un tapis de Perse, une collection de souvenirs plus indigente qu'un recueil d'anas. Mais au bout de dix ans la Peur reste la Peur.

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