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l62 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

elle n'y perd pas en réalité. Quelle force au con- traire, quel raccourci, quelle satisfaction de l'esprit, quel épuisement du problème! Comme la mémoire s'en empare et le retient aisément ! On n'est pas convaincu, dans le fond du cœur, qu'il fallût à toute force que Roméo et que Juliette finissent par s'em- poisonner. Ce sont des forces confuses qui les y poussent, des hasards, des malentendus. Tandis que lorsque Bérénice dit adieu à Titus nous avons la complète persuasion qu'elle ne pouvait faire autrement. Elle a tout essayé. Son chemin ne la conduisait pas à travers une noire forêt des Ar- dennes pleine de terreurs et de dangers de toutes sortes mais d'où à la rigueur l'on pouvait tenter de s'évader. C'est entre des parois de marbre qu'est enfermée la reine de Palestine, et il n'est pour elle d'autre issue que l'exil auquel il faut bien qu'elle se résolve.

Or ces belles, ces féroces tyrannies des mœurs, si savantes à contrarier nos plus légitimes passions et à en faire couler le sang tragique, où les retrou- vons-nous dans notre culture contemporaine ? A mesure que politiquement, que socialement, que par un progressif asservissement de la nature, notre vie a pris une stabilité plus paisible, les lois draconiennes sont devenues moins nécessaires, les usages se sont adoucis. L'intérêt général n'exige plus un si constant sacrifice des intérêts particuliers. Tout ce qui était implacable, irrémédiable, s'hu-

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