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266 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

...Ce qui caractérise essentiellement la grande révolution intellectuelle qui s'accomplit sous nos yeux, cette révolution dont l'aspect philosophique se résume dans la renaissance et la réaffirmation du nominalisme sous le nom de pragmatisme, c'est l'importance nouvelle que nous attachons au cas individuel au lieu de le subordonner comme autrefois à l'idée générale. Tous nos problèmes sociaux, politiques et moraux sont abordés dans un esprit nouveau, dans un esprit de recherche et d'expé- rience qui conserve peu d'égards pour les principes abstraits et la déduction. Nous comprenons par exemple avec une clarté croissante que l'étude de l'organisation sociale est chose vide et sans profit tant que nous ne l'envisageons pas comme l'étude des associations et des réactions mutuelles entre des individus qu'inspirent des motifs variés, que gouvernent des traditions et que dominent les courants d'idées les plus com- plexes. Et toutes nos conceptions des relations sociales, du droit et de la justice restent aussi raides, mal coupées, incom- modes et dangereuses que pourraient l'être des vêtements métalliques, tant que nous ne les ramenons pas à la mesure de la réalité individuelle.

C'est précisément là qu'intervient le roman et qu'il prend toute sa valeur. Autant que je puis m'en rendre compte, lui seul nous fournit le moyen de discuter la grande majorité des multiples problèmes que pose notre développement social contemporain. Chacun de ses problèmes sociaux se ramène au fond à un problème psychologique. Recourir aux principes ou à la généralisation pour traiter ce genre de question, c'est imiter un chasseur qui se contenterait de se poster à l'entrée d'un bois plein du gibier le plus varié. La vraie chasse ne commence que lorsqu'on s'enfonce dans les fourrés...

...Quant aux mémoires, s'il est vrai qu'un homme peut dévoiler son caractère de mille façons inconscientes, il n'est donné à personne de s'analyser avec justesse et d'expliquer sa propre nature. Ce sont les menteurs et les fanfarons, les Cellinis et les Casanovas, ces admirateurs d'eux-mêmes, qui écrivent les meilleurs mémoires..."

— Qu'on juge enfin de la hardiesse de ses conclusions :

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