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334 ^^ NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sortir. Comment les ailes impatientes de ma jeu- nesse auraient-elles appris à me porter ? Elles ne sont plus aujourd'hui que des moignons sans force. J'entends bien au-dessus de moi des bruits d'ailes, et je vois les ombres de grands oiseaux passer sur l'herbe et les jardins ; ils sont chauds et puissants là haut où mon sang se figerait sans doute... Je les hais. Je suppute la hauteur de leur vol ; il y a une limite qu'eux aussi ne pourront pas dépasser. Je l'espère toute proche. Si j'avais des cailloux, je n'oserais pas, pourtant, essayer de les atteindre, tant leur vol me fascine. Et l'énergie de mon âme à détester ces heureux est si forte que l'envie ne me paraît plus un sentiment bas. Je n'en méprise qu'un seul : l'invincible et honteux instinct qui me retient dans l'existence.

La sensation que j'ai de ma vie est celle d'un poison altérant la composition de mon sang au point que j'en goûte l'amertume avec le tissu même de mes veines et de mes artères. Chaque fois que je dors, la peur atroce du réveil hante et trouble mon sommeil. Mon tourment jusqu'ici ne m'a pas paru monotone ; il comporte de nouvelles variantes tous les jours, chacune un peu plus acre il est vrai que la précédente, mais il semble que la roue douloureuse ne soit pas encore revenue à son point de départ.

Dans ce cruel jardin, où depuis longtemps la nature se désintéresse de moi, je n'ai qu'un ami.

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