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Page:NRF 6.djvu/45

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LES CAHIERS DE

MALTE LAURIDS BRIGGE
(fragments)
I

Dès qu’elle parlait d’Ingeborg, rien ne l’atteignait plus. Elle ne se ménageait plus alors ; elle parlait plus haut ; elle riait au souvenir de ce rire d’Ingeborg ; elle voulait qu’on connût combien Ingeborg avait été belle.

— Elle nous faisait joyeux, disait-elle, tous, et ton père aussi, Malte, oui joyeux littéralement. Mais lorsqu’on déclara qu’elle était perdue, encore qu’elle parût à peine malade et que tous autour d’elle nous feignions de l’ignorer, un jour elle se mit sur son séant dans son lit — et parlant droit devant elle comme étonnée du son de sa voix : " Pourquoi prendre tant de précautions ? Nous le savons bien tous et je peux vous tranquilliser ; ce qui arrive est très bien ; j’ai mon content. " Figure-toi qu’elle disait " J’ai mon content, " elle qui nous rendait tous joyeux. Pourras-tu comprendre cela un jour, Malte ! quand tu seras grand. Pense à cela plus tard; qu’il t’en souvienne.