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44^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

d'ordre martial et sommaire le long des voies. Des express, alignés derrière leurs lourdes compounds, ran- gèrent au petit pas ce bétail qui s'ouvrait avec bonne humeur. Des faces d'étrangers apparaissaient derrière les carreaux des sleepings, et contemplaient avec stupeur cette image d'un peuple qui avait su imposer une loi au monde. Des sergents rengagés roulaient de ci de là, d'un air faussement cordial ; ils repéraient les fortes têtes à petits coups d'oeil. Une vocifération d'émeute déferlait par là-dessus. Il semblait qu'aucune autorité n'arriverait jamais à cristalliser ce chaos.

Mais les sous-officiers n'étaient si bonhommes que parce qu'ils sentaient approcher leur heure. Il faudrait bien que ces sauvages y viennent, comme y étaient venus leurs aînés. Comme y viendraient leurs cadets.

Dans un coin, devant les faisceaux du poste principal, un lieutenant à lorgnon appréciait froidement ce tumulte. Ses deux mains se joignaient sur le pommeau de son sabre. Son teint très basané, sa peau d'un grain sec et une forte paire de moustaches noires aidaient son immobilité à prendre un caractère de résolution tranquille et délibérée. La jugulaire vernie, ourlée d'un double galon d'or accen- tuait la sculpture du menton : elle brunissait la peau mate. Le front était mangé par la visière abattue sur les sourcils. Les vitres du binocle faisaient paraître plus sombres et plus grands des yeux jaunâtres abrités sous des paupières lourdes. Il regardait par dessus les têtes, et quand un individu attirait son attention, il le fixait d'abord en haut du front, avec une expression indififérente et ennuyée.

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