Page:NRF 6.djvu/504

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

498 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

diverses figures d'une force unique, et que de même qu'une flamme cachée produit des éclats et des ombres, cette force s'oppose à elle-même sans cesser d'être elle-même. C'est la même âme qui anime le Cid et Chimène, Polyeucte et Sévère, Andromaque et Hermione, Athalie et Joad ; sous des formes différentes, le souffle créateur de l'écrivain jaillit, partout brûlant du même feu ; sous des sentiments contraires, il parle le même langage, ses imprécations gardent le charme de ses soupirs, et sa haine a des cris qui ressemblent à ceux de son amour.

Il est une loi que notre époque semble avoir complètement oubliée : c'est celle de l'unité d'expression. Une oeuvre a son expression comme un tableau à sa lumière. Les Evangiles ont leur langue propre, commme les Chansons de Geste, comme les épopées, comme les Chroniqueurs, comme les Tragiques français...

Le réalisme a voulu voir les hommes et les choses tels qu'ils sont en dehors de nous ; il a voulu les faire vivre de leur vie propre et indépendante ; logiquement il a créé la multiplicité des langages où régnait l'unité, à chacun il a donné son expres- sion particulière ; à ce chant qui s'élevait si haut au-dessus de la clameur des hommes qu'il ne renfermait plus que ce qu'elle avait de divin, il a substitué la multiple voix des foules incons- cientes et des hommes déchus. On a tourné en dérision la phrase pompeuse des classiques et les marchands ont envahi le Temple. Il fut entendu qu'un paysan parlerait comme un paysan, un égoutier comme un égoutier ; on a introduit dans l'art le jargon du Palais, le jargon des salons, les phrases d'atelier, les épices de la langue verte ; on a poussé la cons- cience jusqu'à donner aux provincaux l'accent de leur terroir, aux juifs leurs consonnances germaniques. Au lieu de ce sublime dialogue des Tragiques où ce ne sont plus les voix mais les âmes qui parlent, on nous a offert des conversations quelconques où l'esprit le dispute à la banalité..."

��Durendal (Août 191 1) publie une étude de M. Georges

�� �