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520 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Un soir, comme elle en sortait pour monter au dortoir, une grande la prit par la taille et lui dit quelques mots à voix basse. Rôschen lui souffla une gorgée d'haleine au visage, et toutes deux se regardèrent en riant. J'éprouvai alors une douleur aiguë et fis un grand effort pour ne pas crier. Il y avait une expression diabolique sur la figure de cette grande ; et Rôschen s'appuyait à elle, toute rose, les lèvres entr'ouvertes, les yeux baignés d'eau brillante. De toute la nuit je ne puis dormir.

Je ne lui avais pas encore parlé. Je la croyais fîère, assez insolente et têtue, un peu " brute " comme nous disions. Et l'idée qu'elle avait sans doute deviné mon grand secret m'était intolérable.

Vers ce temps, l'affection que j'avais pour elle prit des formes qui sans doute sembleraient ridicules à des grandes personnes. J'étais toute fière de m'appeler Rose, à peu près comme elle ; et, pour lui ressembler davantage, je me mis à signer mes devoirs " Rosa Lourdin, " ce qui me fît traiter de petite étourdie par notre maîtresse. J'étais éprise de son nom ; je trouvais qu'il lui ressemblait : c'était une grande fille blonde et riante...

Une autre fois, j'ai profité de la longue récréation de trois heures pour monter dans le dortoir de Rosa Kessler, et j'ai mis son sarrau de rechange. (Nous portions, pen- dant la semaine, des sarraux noirs qui se boutonnaient par derrière et recouvraient tous nos vêtements.) Ce fut une grande aventure : j'en revois tous les détails. Je revois les trois hautes fenêtres, les sévères dames blanches, surveil- lant le désert des lits. Tout le ciel résigné de la petite ville entrait par leurs yeux vides et se répandait en flaques bleuâtres sur le parquet ciré. Comme je sentis battre mon

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