Page:NRF 6.djvu/592

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’ESCALE À TRIPOLI

Qui je suis, pourquoi je voyageais, avec, incidemment, quelques réflexions philosophiques et religieuses dont l’à-propos, à défaut de l’originalité, se fait vivement sentir.


Jeune, assez bien fait de corps et d’une figure qu’on s’accordait à trouver sympathique, jouissant en outre d’une santé florissante et de la fortune que venait de me léguer mon père, le serdar Omar Mourmelayah, propriétaire des plus riches mines de turquoises de Khorassan en Perse, je voyageais pour mon plaisir, sans mentor et sans guide, parcourant au gré de ma seule fantaisie les mélodieux rivages de cette mer que les Giaour appellent Méditerranée, mais qu’en notre parler plus imagé qu’un poème, nous avons surnommée « l’eau changeante comme un regard du Ciel ».

J’avais vu tour à tour Chypre, Damiette et la vétuste Alexandrie où sommeille un passé voluptueux, après avoir, sur les bords du Tigre, visité Bagdad-la-déchue et les ruines tragiques de Babylone. Alep me retint toute une lune, ensorcelé par les yeux tendres et la chair généreuse d’une marchande juive et je vis quinze soleils se lever sur Damas. Cette ville nichée dans des jardins ainsi qu’un nid d’oiseau, peuplée de bournous multicolores, retentissante d’appels, de marchandages, du bruissement