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le plus clair de mon temps à composer un compliment en vénitien et des ghazels plaintifs et passionnés.

Cette nuit-là, je ne revis pas Giacomo et je commençais à m’inquiéter, lorsqu’il rentra, la mine joyeuse, mais fatiguée. L’aurore rosissait le dôme des minarets et les muezzins psalmodiaient leurs prières matinales pendant qu’il me communiquait le succès de son entreprise.

S’étant glissé dans les jardins du vizir par une brèche connue de lui seul, il avait pu pénétrer jusqu’à Giula. La Vénitienne l’avait accueilli avec joie, car elle s’apprêtait déjà à se donner la mort, croyant tout perdu. Ils avaient convenu d’un rendez-vous pour le lendemain. A l’heure de la sieste, le fidèle Italien lui amènerait le seigneur persan qui avait la bonté de s’intéresser à elle. En attendant, elle envoyait à son futur libérateur ses salutations bien civiles et ses remerciements. On avait choisi l’heure de la sieste, car pendant la forte chaleur personne n’était tenté de rôder par les rues, les serviteurs eux-mêmes se relâchaient de leur surveillance et le maître dormait dans sa chambre, à l’autre bout du palais. Comme gages anticipés de sa reconnaisance, Giula m’envoyait une rose, une boucle de ses cheveux et une médaille représentant, me dit Giacomo, Saint Marc, patron de Venise.

Je baisai avec amour ces gages palpables du bon vouloir de sa maîtresse inconnue qui ne le serait plus dans quelques heures. Impatient et joyeux, pendant que Giacomo succombait au sommeil, je fis une toilette précise, revêtis mes habits les plus magnifiques, pris mon kandjar damasquiné et me couvris de la tête aux pieds d’un manteau en poil de chameau. J’avais sur moi dans ma bourse, une poignée de doublons pour les eunuques,