Aller au contenu

Page:NRF 6.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que tout cela était imaginaire. Mais alors je bondis de dessus ma chaise, et me précipitai au dehors ; car je ne m’étais pas trompé. Il était assis là, dans un épais manteau noir, et son visage convulsé, tout gris, enfonçait dans un cache-nez de laine. Sa bouche était pesamment close ; quant à ses yeux il n’était pas possible de dire s’ils y voyaient encore : des lunettes aux verres fumés et embués les cachaient et tremblaient un peu. Ses narines étaient distendues, et les grands cheveux sur ses tempes vidées se fanaient comme sous l’effet d’une trop grande chaleur. Ses oreilles étaient longues, jaunes, jetant de grandes ombres derrière elles. Oui, il savait qu’en ce moment il s’éloignait de tout ; pas seulement des hommes. Un instant encore, et tout va perdre son sens, et cette table, et cette tasse, et cette chaise à laquelle il se cramponne, tout le quotidien et le proche va devenir incompréhensible, étranger, et clos. Ainsi il était là, il attendait que ce fût consommé. Et ne se défendait plus.

Et moi je me débats encore. Je me débats, quoique je sache bien que déjà mon cœur est arraché, et que si même mes bourreaux maintenant me tenaient quitte, je ne pourrais tout de même plus vivre. Je me dis : il n’est rien arrivé, et pourtant je n’ai pu comprendre cet homme que parce que, en moi aussi, quelque chose arrive qui commence à m’éloigner et à me séparer de tout. Combien toujours me fut horrible d’entendre dire