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LA LITTÉRATURE 1^49

pour les auteurs ? Quand le critique est lui-même un écrivain de la valeur de M. Lemaître, il devrait parler sur ce sujet avec la compétence d'un Fromentin. C'est ce dont la critique littéraire se soucie le moins ; il serait trop long d'en développer ici les causes.

Ainsi M. Lemaître nous dit que Napoléon malgré tout goûtait Chateaubriand, et il a présenté très finement les rapports entre ces deux majestés. Il eût été peut-être utile d'étudier, ou du moins de mentionner, l'influence du style de Chateaubriand sur celui de Napoléon. Comparez les premières et les dernières proclamations de l'Empereur, les phases diverses de son style officiel. La proclamation du Golfe Jouan en 1815 a le son d'airain de telles phrases des Martyrs et il semble qu'elle prépare déjà la page étonnante où Chateaubriand exalta le retour de l'aigle avec toutes les musiques de notre prose, et, jusqu'aux tours de Notre-Dame, toutes les voix de nos clochers. La lettre qu'après Waterloo Napoléon adresse de Rochefort au prince régent d'Angleterre, et qui compte parmi les plus belles lignes de notre langue, elle n'eût pas été écrite si la parole de Chateaubriand n'eût croisé les routes impériales.

Napoléon se référait à son Cck^e Civil pour dire de ses détracteurs : Ils mordront sur du granit. Au style de Chateau- briand s'applique le même mot. Egoïsme, vanité, orgueil, tout cela nous l'acceptons comme le milieu où ce granit devait se refroidir pour faire une roche étemelle. La Restauration qui décapitait de son César la colonne Vendôme était obligée de gouverner avec les cadres administratifs de l'an VIII, et lorsque Veuillot, dans une page haineuse et belle que cite M. Lemaître, écrit : " N'ayant toute sa vie songé qu'à lui-même et rien fait que pour lui-même. Chateaubriand a péri tout entier. Sa gloire, placée en viager, est venue s'éteindre dans cette mer, dont il a voulu suborner le murmure pour le transformer en applaudissement éternel, " — nous sourions, et nous reconnais- sons, dans la main injurieuse de son brillant élève, la phrase de

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