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DE LA SINCÉRITÉ ENVERS SOI-MÊME I5

auraient tôt disparu ; ils s'évanouiraient tout de suite en d'autres sentiments plus profonds et plus vastes ; car leur sens naturel les mène à périr. Mais la sincérité les protège contre leur fugitivité; elle prend chacun d'eux, lui reconnaît une place, se fait une religion de l'accueillir et presque de le respecter; elle l'empêche d'être étouffé par d'autres qui le dominent ; ainsi change-t-elle son essence qui était de passer en un clin d'ceil. L'âme qu'à force d'équité elle finit par former, est toute égale et immobile ; le cours en est arrêté ; à chaque instant elle présente tout son détail. L'homme sincère n'ose plus toucher à ses sentiments ; il aurait honte de les réformer, de plier le moindre d'entre eux ; il pense justifier ses actes raides, aigus, à la fois gauches et cruels, en disant : " Je suis ainsi. " Il en vient à ne plus pouvoir même souhaiter d'être différent. Il abdique tout empire sur ce que lui propose son âme ; il obéit à tout lui-même, sans songer que peut-être le vrai lui- même serait celui qui se maîtriserait et brusquerait ses inspirations trop complexes. Ainsi s'écarte-t-il insensiblement de sa nature pour ncn avoir voulu négliger aucun élément.

Nous aimons Stendhal pour son audacieuse pa- tience à s'épuiser sans cesse complètement. Jamais il ne rencontre un de ses sentiments sans le con- naître ; il entre en lui avec scrupule ; il le parcourt exactement dans toutes ses dimensions ; il en fait

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