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entre eux et le monstre, l’obstacle des frontières, la défense du climat et de la civilisation ? « Dostoïevski, disent-ils, vaut uniquement comme peintre de sa race. Nous n’avons rien à démêler avec lui. Son génie consiste en ceci : qu’il est le plus russe des russes. »

N’est-il pas surtout le plus homme des hommes, le plus enfoncé des hommes au sein de l’humanité ? Étant celui qui osa tout accepter, tout assumer, tout prendre sur lui. « Il touche le fond — dit Suarès — qui est la valeur même de la vie, comme au-dessous des océans, pourvu qu’on jette assez la sonde, c’est toujours la solidité immuable de la terre. »

Dostoïevski dénonce l’homme. Voilà, contre lui, le grief capital. Il le dénonce à lui-même. Il l’avertit, l’invite et le provoque. C’est en quoi il est séditieux. Il n’a reçu d'autre enseignement que cet appel de la vie par mille bouches. Il connaît les passions, non comme le psychologue qui s’en amuse, le prêtre qui les absout, ou le médecin qui les guérit ; mais comme le patient qui les souffre et le saint qui les transfigure. Il ignore où leur train le conduit. Foulé par elles, avec elles crucifié, mais transporté d’une sauvage allégresse, au bout de son agonie lucide il s’écrie : Tout est bien ! puisque j’ai pris le parti de vivre, et puisqu’enfin voici mon cœur vidé de tout le sang qu’il contenait, déchiré de tant de blessures que la mort n’y trouvera pas de place pour enfoncer la sienne !