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39^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

on grimpait dans cette patache déjà bondée d'indigènes, qu'on s'installait tout en haut sous la bâche, une cruche d'eau entre les jambes, un couffin de provisions sous le bras et qu'on se disait : " En voilà pour cinq jours ! " alors on avait l'impression d'aller vraiment chercher un pays inconnu, et qu'il y fallait du courage.

Tout le reste du jour, l'antique véhicule se traînait dans l'humidité chaude qui noie sous d'épaisses vapeurs la plaine assoupie d'Alger. Au soir tombant, la route com- mençait de s'élever au dessus de cette brume étouffante ; des courants d'un air frais et vivifiant et comme d'un autre climat venaient vous frapper au visage, et toute la nuit on roulait dans les gorges de l'Atlas.

Bercé par la voiture, j'essayais vainement de résister au sommeil, de garder les yeux ouverts sur le ciel constellé, où les sommets des montagnes se découpaient en arêtes vives, en déchirures inouïes. Ah ! qui ne connaît le regret de fermer ainsi les yeux devant la beauté qui passe et qu'on ne reverra plus, l'irritation impuissante d'entendre dans un demi-sommeil le fracas de la voiture qui roule sur un pont au-dessus d'un ravin, d'écouter comme en rêve le filet d'eau qui s'égoutte, de soulever un instant les paupières sur un chaos incroyable de ciel, de rochers et de songes, et de les refermer aussitôt.

Quelle surprise au matin ! Des montagnes brûlées dans les feux de l'aurore. Pas un arbre, pas un pâturage, mais çà et là, pour reposer la vue, de grandes nappes d'ombre suspendues aux ravins et des lauriers fleuris. Loin derrière nous, la plaine accablée sous ses voiles ; plus loin encore, la mer dégagée de ses brumes.

Et puis, pendant cinq jours, ce fut le Haut Plateau, la

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