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408 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Ces femmes diamantées s'occupaient au repas du soir. Je revis en pensée un salon de chez nous, et devant ce trou d'ombre silencieux et doré, je touchai véritablement de l'âme l'échec dans la beauté de notre civilisation.

— Oui, me dit mon hôte répondant à l'enthousiasme que je laissais naïvement paraître, tout cela est charmant et tout cela est déjà condamné. Un jo,ur ou l'autre, le chemin de fer (il est déjà à l'étude) arrivera jusqu'ici ; le désert ne sera plus qu'à cinq ou six heures d'Alger, et par les nouveaux paquebots à moins de trois jours de Paris, et alors tout ce qui restait de noblesse et de poésie dans ce petit coin du monde sera définitivement submergé.

Il jeta autour de lui un regard mélancolique, arrêta sur moi ses yeux bleus avec une sorte d'inquiétude, et rassuré peut-être par une de ces impressions fugitives que ceux-là même qui les ressentent ne sauraient analyser :

— Nous avons là, sous les yeux, continua-t-il à peu près, les descendants du peuple le plus imaginatif qui fût au monde. Leurs costumes, leur langue, leurs mœurs, rien n'a changé depuis le temps des Khalifes. Et l'intelligence non plus ne s'est pas évanouie comme un oued bu par les sables. Sans doute je ne me dissimule pas les défauts de cette intelligence indigène, sa faiblesse logique, son caractère tout intuitif, l'impuissance de tous ces gens à se diriger dans leurs pensées, comme à se régler dans leur conduite, la même inaptitude à la spéculation abstraite et au gouver- nement politique ; mais en même temps, dans ce pauvre village, je constate, chez ces Arabes incultes, un ata- visme, une hérédité magnifiques dont ils me donnent à tout moment des témoignages sensibles. Vainement on chercherait parmi eux une élite intellectuelle, mais on

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