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6o8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

VOUS aussi, car un Français n’y échappe guère. On arrive dans un des rares points du monde oi; nous pouvons encore nous présenter avec orgueil et où tout donne à penser que notre domination ne sera pas éphémère. Je voyais l’activité d’un grand port là où il y a cinquante ans à peine n’appareillaient que les tartanes des koulouglis et des pirates ; je parcourais les quartiers arabes, qui n’étaient pas encore saccagés, et je me félicitais de voir que nous avions réalisé cette tâche presque impossible de civiliser sans trop détruire. Depuis, j’y suis retourné souvent. Peu de villes sont plus aimables : aux grâces de la mère-patrie s’ajoute ici je ne sais quoi de plus allègre et de plus voluptueux. Ce n’est ni Toulouse, ni Marseille : dans le parler, des tour- nures locales, mais dans la voix, peu d’accent ; dans l’esprit, de l’ardeur et de la vivacité, mais dans les gestes nulle pétulance, nulle emphase dans les propos. On sent déjà la gravité de l’Arabe et le voisinage du désert.

Je ne fis alors qu’y passer, le temps d’en emporter des regrets. J’étais jeune médecin militaire, et j’allais, je l’avoue, assez maussadement rejoindre mon poste à Ben Nezouh. Je pensais rester là-bas dix-huit mois, comme tous les camarades qui m’avaient précédé ; j’y suis de- meuré plus de vingt ans.

Comment je me suis attaché à ce verger des sables, voilà bien ce que je ne saurais exprimer. J’ai d’abord été séduit, comme vous l’avez été vous-même, par le pittores- que des choses, la pureté de l’air, l’agrément d’une vie sans contrainte. Puis les obligations de mon métier firent que je m’intéressai peu à peu à cette population musul- mane, qui demeure toujours pour un passant si mysté- rieuse, si fermée. Chaque jour on m’amenait de pauvres